Sabine Monpierre
Bonjour, je suis Sabine Monpierre, originaire de la Guadeloupe. Je suis au Québec depuis maintenant quinzaine d'années. On me connaît beaucoup en tant qu’activiste dans le milieu culturel notamment tout ce qui touche à la défense du patrimoine créole. Je suis une fervente militante pour promouvoir la culture créole au Québec et notamment la culture créole guadeloupéenne et au niveau de ma profession je suis interpellée par la défense des droits. Depuis plusieurs années, j'interviens pour soutenir des familles en situation de précarité et en vulnérabilité et je suis agent d’éducation et de coopération dans une institution qui protège les droits et libertés de la personne.
Alors mon rapport avec les tresses, c'est sûr ça remonte plus à mon enfance. Il faut savoir que dans ma génération, le contact avec les tresses, c’étaient beaucoup plus les vacances scolaires. Il y avait les tresse qu'on se faisait la semaine pour aller à l'école, on faisait la coiffure avec 4 tresses, avec les boules ou bien 3 tresses, ou bien deux tresses. Mais les petites tresses pour les cheveux, sont séparées en plusieurs rangement plusieurs lignes. Ça c'était des coiffures qu'on nous faisait pendant les vacances scolaires, pendant l'été, je dirais juillet-août, pour qu'on n’aie pas à être coiffées pendant toute la période des vacances. Parce qu'à ce moment-là, on allait beaucoup à la mer, on allait à la rivière, donc les cheveux, pour qu'ils ne restent pas défaits avec l'eau à l'intérieur, c'était facile d'avoir la coiffure, avec des tresses pendant l'été. Ça évitait les shampoings du samedi. Là, on avait la tête coiffée pendant toute la période des vacances. Donc petite fille, pour moi les tresses, c'étaient coiffure d'été. Différente de la coiffure pendant l'année scolaire.
Arrivé dans mon adolescence, je ne dirais pas que j'avais une proximité avec cette coiffure là qui toucherait mon identité de femme guadeloupéenne ou créole. Je dirais toujours que pour ma génération c'était vu comme la coiffure de “relâchement”, de “relax” ,en fait. On se faisait des tresses, juste pour être relax. Puisque dans ma génération, la femme se défrisait encore ses cheveux, la femme antillaise elle défrisait ses cheveux pour avoir des cheveux lisse. Cela faisait partie d'un critère d'ailleurs pour travailler. Il y avait des emplois où si tu n'avais pas les cheveux lisses, on ne te prenait pas. Donc, dans les cheveux naturels, dans ma génération, en tant qu'adolescente c’était “ne pas être coiffée” tout simplement. On n'est pas coiffée, si on n’avait pas les cheveux bien rangés, qu'ils soient bien plats. Donc en pratiquait beaucoup le défrisage.
Nos grands-mères utilisaient par contre le fer à chaud. Donc c'était effectivement l'instrument qui ressemblait à un peigne en métal et qui était posé soit sur les plaques de la cuisinière, parce qu'aux Antilles on cuisine sur des cuisinière à gaz.
Donc, on met le peigne posé sur le feu et au fur et à mesure on a eu après, les grandes marques de coiffure qui ont sorti le Babyliss, par exemple pour ne pas les nommer, où ça faisait effectivement les cheveux lisses. Qu’on portait notamment, dans les grandes occasions, quand on avait les mariages, les communions, les confirmations, moi je me rappelle pour ma communion, j’avais eu mes cheveux bouclés, parce j’avais eu le lissage et tout parce qu’il fallait avoir la petite coiffure qui soit différente de ce qu'on portait, c'était les grandes occasions. Et la femme portait les cheveux défrisés, ou les cheveux ferrés, c'était ça.
Je crois que l’approche du cheveu naturel, a pris forme aux Antilles dans les années 90 fin 80 début 90. On rentre à cette période dans une volonté de revenir vers l'identité guadeloupéenne, l'identité comme on dit, en créole "Sa ki te an nou". Il faut savoir qu'il y a un rapport entre les Antilles françaises et la France qui n'est pas un rapport, de, on va dire, de mariage voulu. La donc, il y a toujours retrait. Cette distance entre la France et les Antilles, parce qu'il y a ce décalage, à différents niveaux : des inégalités sociales, inégalités au niveau économique au niveau culturel aussi. Donc, on a toujours été considéré comme étant les Français de seconde zone et n'avoir pas bénéficié des droits qui nous reviennent en tant que Français.
Je crois que le désir de revenir vers le cheveux naturels, va se manifester avec les mouvements indépendantistes qui vont amener non seulement, cette volonté de revenir vers soi, ce qui nous appartient, notre culture d’origine en allant chercher plus loin avec l’Afrique puisque cette relation avec l'Afrique, nous avons quand même gardé à travers le tambour. Le tambour qu'on appelle le Ka, c'est le seul lien qui nous relie avec l'Afrique parce que c'est ce que nos ancêtres esclavagés ont su conserver, qui nous permettait, pendant toute la période de la colonisation, dans les plantation pendant l’esclavage, d’avoir ce tambour qui rythmait nos mouvements dans les champs, qui rythmait nos vies quotidiennes à différents niveaux.
Quand on est arrivé dans les années 80 début 90 je dirais qu'il y a eu une émergence de beaucoup d'associations culturelles qui avaient cette volonté de transmettre. On va transmettre maintenant notre identité guadeloupéenne, parce qu'il s'agissait de cette identité. Cette identité qui ne se reflétait pas simplement à travers la langue, qui est le créole qu'on parle (qui n’est pas le créole qu'on entend dans les autres îles de la Caraïbe, bien sûr puisqu’il existe plusieurs créoles), mais à travers la danse, à travers notre cuisine, bien sûr, à travers l'oralité, en fait, ce qui s'étaient perdus à travers notre apparence physique même, qui nous étions en tant que guadeloupéens. On avait déjà dans notre société guadeloupéenne, des gens qui portaient les tresses, qui comme je l'ai indiqué, les tresses étaient beaucoup faites avec pas nécessairement, ses propres cheveux : on mettait des autres cheveux qu’on appelait des rajouts pour ajouter, on fait pour avoir les tresses vraiment longues qui arrivaient plus bas que les reins.
On a encore ce rapport. On a besoin d'avoir les cheveux longs. Le maître nous a montré dans notre colonisation, le cheveux long c'est être une femme qui plaît, être une femme qui correspond à la norme. Toujours pour faire référence à la maîtresse, elle qui avait les cheveux longs. Donc on est toujours dans ça, je pense. Jusqu'à ce qu'on ait une petite communauté dans la société guadeloupéenne, les rastafari qui, eux avaient dans leur spiritualité. Ils portaient les dreadlocks. Donc quand quelqu’un portait le Dread, c’était un rasta. C'était pas comme si c'était une personne qui avait décidé délibérément de suspendre l'utilisation de produits toxiques dans ses cheveux et qui veut recourir à un cheveu naturel, parce que c'est ce qu'il trouve qui lui correspond. C'était pas encore dans cette mouvance là. Donc c'était soit on portait les cheveux lissés, ferrés, défrisés, ou les cheveux avec les ajouts, pour faire des tresses. Mais, avoir les cheveux locksé, c'était faire partie de la communauté rasta.
Et je crois, qu’ un travail de décolonisation qui se fait aux Antilles françaises a principalement, jusque dans les Antilles anglaise, qui vous indiquait comme appartenant à un groupe rasta.
On va à La Barbade, en Jamaïque, on porte les dreads même si on n’est pas forcément rasta. Mais aux Antilles françaises, Guadeloupe, Martinique, maintenant même aussi en Guyane, le port du dreadlock a pris une autre dimension : c'est vraiment un symbole d'identité, de revenir vers soi, de revenir vers sa culture africaine. Donc, imaginez-vous bien, on vient d'une génération [je suis d’une génération qui vient après les années 50 - 60] où porter le dread était pas possible à la maison. C’était comme si être locksé équivalait à être malfrat, voyou, personne de la rue. Parce qu'on voyait aussi dans les actualités. On est très proches donc on est dans la Caraïbe, proche de la Guadeloupe et à l'île de la Dominique, l'île de Sainte-Lucie. Il y avait donc une l’immigration aussi de ces personnes qui venaient pour des raisons économiques, pour venir travailler. Et ces gens-là aussi arrivaient souvent clandestin parce que là, c'est très proche de traverser de la Dominique à la Guadeloupe en bateau. Ils arrivaient aussi souvent avec des bagages judiciaires qu’on ne pouvait pas penser. C’est des personnes qui causaient des vols, causaient des dommages dans les logements. Et ces personnes là avaient des locks. Donc dès que vous portiez les locks, on vous comparais à ces individus qui sont immigrants aux Antilles françaises et qui sont connues pour être des repris de justice, finalement. Donc ce n’était pas quelque chose qu'on pouvait avoir à la maison.
Dans l'éducation qu'on recevait, si on portait l’anneau, si on portait le dread, vous étiez dans une catégorie de personnes. Le travail identitaire a commencé à s'amplifier, je crois aussi, dès lors qu’on s'est rendu compte de cette distanciation entre la France et les Antilles sur le plan économique, le plan historique. Et lorsque on nous avait toujours enseigné, moi j'ai connu ça à l'école, en nous disant «nos ancêtres sont les Gaulois» dans nos livres d'histoire. C'était ça qu'on nous enseignait. On parlait très peu de l'Afrique, on nous parlais même pas beaucoup de l’esclavage. C’était un aspect de l’histoire qui était très survolé. Tous nos ouvrages scolaires touchaient l’histoire française. Il y avait un noyau d'enseignants diplômés qui sont docteurs en littérature, en histoire, qui sont archéologues, qui viennent des Antilles, qui ont changé ça, qui ont décidé de changer la donne en disant qu’il n'est pas question que nos enfants apprennent cette histoire-là. Ils doivent maintenant découvrir quelle est leur histoire.
Avec l'émergence des associations culturelles qui commençaient à pousser comme des petits champignons, ça a beaucoup aidé pour qu’au niveau du ministère de l’éducation que la force représentée par les enseignants venant des Antilles puissent avoir un impact en disant qu’il est temps que nos ouvrages scolaires racontent notre histoire, et pas seulement celle de la France. Que nos enfants aient un repère identitaire, qu’ils sachent d'où ils sortent, qui ils sont. Et à partir de là, cette émergence là, a permis qu’avec les associations culturelles qui devenaient aussi des associations qui défendaient le carnaval, parce que les associations culturelles, c'était pas simplement d'organiser des activités dans l’année, des enseignements sur la Guadeloupe ou la Martinique, notre histoire ou bien la danse ou bien la cuisine. C’était aussi à travers des événements principaux qu’on connaît dans notre île : le carnaval, des fêtes qui ont touché des événements principaux qui nous ont touchés dans notre histoire. C’était de sensibiliser notre jeunesse face à ça, d’inaugurer ou de commémoration de choses et d'événements qui sont passés pour que nos jeunes puissent s'approprier ça.
Le carnaval guadeloupéen est un carnaval très particulier puisque c’est un carnaval qui se nourrit de l’histoire, de cet esclavage, de ce colonialisme là qui a voulu nous séparer de qui nous sommes, éloigner notre histoire à travers notre comportement, notre vie de tous les jours, même dans notre façon de penser. Cette histoire-là a permis à travers notre carnaval, qui ai cette identité de fierté qui permet de dire «Je suis Gouadeloupéen», parce que notre carnaval c'est pas la parade qu'on pourrait voir dans certaines îles, avec les plumes et les paillettes. Il y a des groupes qui ont fait qui sont dans cette catégorie-là, mais le groupe qui sont les plus dominants, on appelle les masses Apo, les groupes Apo. Ce sont des groupes carnavalesque, comme des bandes à pied, qui ne créent pas des costumes avec les plumes et les paillettes et les strasses. Les costumes sont élaborés avec des matières que nous donne la nature. Ça peut être les feuilles, ça peut être du carton, du tissu en coton, des graines. On va amener les membres à confectionner les costumes pour se reconnecter à son patrimoine végétal. Se reconnecter avec les figures qui existaient dans les tribus en Afrique, selon les pays d'Afrique, et voir que ce sont des tenues qui nous rappellent qui nous sommes.
Malheureusement c'est ce qu'il faut aussi savoir, quand il y a eu l'esclavage qui a démarré, les bateaux quittaient l'Afrique de l'Ouest, mais les bateaux pouvaient contenir dans les cales des personnes qui venaient de différents royaumes, de différentes tribus. Donc on avait des gens qui venaient du Cameroun, qui venaient du Sénégal, qui venaient du Mali. Et ces peuples là ne parlaient pas la même langue donc, ils ne pouvaient même pas se comprendre, quand il était au fond du bateau. Donc arrivés dans les îles, il y a déjà cette première séparation qui se fait.. déjà ils sont séparés de leur famille quand on les a capturés. On les envoie dans les cales, ils ne parlent pas tous pareil, donc ils peuvent pas déjà se comprendre entre eux.. S'il est arrivé que plusieurs ont eu la chance de partir avec leur famille, mais la famille ne restait pas entière une fois que le bateau arrivait à Port, les familles sont séparées et sont vendus à plusieurs endroits différents, donc c'est comme on est en train de reconstruire notre histoire en se réapproprient, ce qui nous a été volé, ce qui nous a été effacé.