Monique Tardieu
Bonjour à tous.
C'est un plaisir d'être avec vous aujourd'hui.
Je suis Monique Tardieu. Haïtienne de naissance, négresse, âgée aujourd'hui de 78 ans. Certains se sentiront scandalisés par le terme négresse. Mais en 1960, mes parents m'envoient aux études au Canada et sur mon premier passeport, on pouvait lire race nègre.
Pour l'histoire des tresses, dans notre enfance, la texture de nos cheveux obligeait nos parents à nous coiffer au quotidien, en tressant nos cheveux bien différemment de ce que j'ai découvert en Afrique, au Cameroun.
C'est à l'Expo 67 que je rencontre un Camerounais, qui me mènera au Cameroun, quelques années plus tard.
Durant mon séjour en Afrique, je m'intéresse à la coiffure, aux tresses dites renversées qui sont très tressées sur le crâne, avec une belle géométrie.
Entre 75 et 78, je suis étudiante à l'Université Laval et rencontre à l'occasion un bon nombre d'africains.
Je m'intéresse tellement aux tresses africaines, aux africaines aussi, que lors des parades de mode, je coiffais toutes les africaines sans exception. C'était un plaisir immense pour moi.
Il faut cependant avouer que, parallèlement, je faisais l'objet de rejets des adultes de la génération de mes parents. Et tout particulièrement de ma famille maternelle, qui affichait ouvertement un mépris envers les tresses ou moi coiffées de tresses. Je ne saurais le dire.
Dans notre jeunesse, nos cheveux crépus nous étaient présentés comme sujet de honte, si bien qu'il nous fallait les défriser à l'occasion par exemple de ma première communion et d'événements importants. Envoyée au Canada à l'âge de seize ans, il fallait que mes cheveux soient lisses.
Autour de 65, ma mère me dit un jour: “Tu fais des tresses?” sur un ton qui m'invite à les détacher, à les défaire, le plus rapidement possible.
Je dois avouer également que ce rejet des tresses était associé à un rejet de la peau noire.
Le souvenir qui m'a marqué, me porte à le croire.
C'est autour des années 77, ma fille est en séjour chez mes parents en Haïti.
Et dans la concession familiale, vivait sa cousine de mère canadienne, fille de mon frère et Amélie, ma fille, de père camerounais.
J'avais donc envoyé pour les deux cousines, à peu près du même âge, deux poupées.
Noire pour Amélie, de père camerounais, et une blanche pour Rachel, de mère canadienne blanche.
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Arrivée en Haïti, un membre de la fratrie de maman, la sœur de ma maman, avait confisqué la poupée noire d'Amélie, l'avait privée de sa poupée.
Et quand j'ai vu la poupée qu'elle gardait, elle a employé ce terme : “Il es laid comme un enfer! Cette poupée est laide comme un enfer!”.
Donc le noir, c'est l'enfer. C'était l'enfer pour eux.
Jusqu'à présent, cette mentalité persiste pour certains. Parce que je dois avouer que je rencontre, je suis en éducation, je rencontre des petits Haïtiens qui sont nés en Haïti mais une fois qu'ils sont naturalisés, ils préfèrent être Canadiens.
Mais moi, je suis haïtienne.Je suis fière de l'être. Je suis nègre, négresse et je suis fière de l'être.
Aujourd'hui, je peux dire que les tresses ont évolué en Afrique comme dans la culture chez les haïtiennes.
Ma petite fille, ma fille, se tressent régulièrement. Autour de moi aussi, mes proches, les haïtiennes que je rencontre, même au travail, elles sont nombreuses avec des tresses sur les modèles africains.
Je pense que la mentalité change beaucoup.
Je pourrais difficilement dire qu'elle change pour tous.
Mais nous voyons même, ce qu'on dirait des blanches, tressées, un peu comme sur le modèle africain.
Et pratiquement, je dirais toutes les haïtiennes que je rencontre, elles ont leurs tresses. Souvent la perruque qui n'est pas tressée, mais aussi souvent les tresses. Qu'elles aiment. Et la mentalité a vraiment changé.
Amélie, ma fille, et Raphaëlle, ma petite fille, elles se font de belles tresses que moi j'admire. Et je pense que je ne suis pas la seule à les admirer.