Marjorie Villefranche
Bonjour, je suis Marjorie Villefranche. Mes histoires de cheveux.. Je pense que les femmes noires, en général, ont des histoires tyranniques quand elles racontent leurs histoires de cheveux. Et je pense que mes histoires, mes histoires de mes relations avec mes cheveux ont commencé depuis petite. Parce qu'en fait, quand on a les cheveux frisés, dès qu'on est petits, bah ça fait mal quand on nous coiffe. L'utilisation même du peigne est une souffrance. Donc moi, mes souvenirs à moi de mes cheveux et de ma mère en train de me coiffer, ce sont des tresses effectivement. Elle me faisait des tresses et c'était très difficile pour moi de supporter le peigne. Surtout que quand je pleurais, je recevais un coup de peigne à la tête.. Donc ce n'était pas bien.
Ce n'était pas une bonne idée. Je pense qu'ensuite, j'ai eu aussi des relations avec les tresses quand j'étais en pension ici parce que quand je suis arrivée ici j'étais jeune. J'avais douze ans et j'étais pensionnaire et je crois que je ne m'étais jamais coiffée toute seule parce que c'était toujours ma mère qui me coiffait. Et donc arrivée là, c'était tellement pénible pour moi que je pense que j'ai complètement oublié toute cette période de ma vie. Je l'ai oubliée en fait. Et j'y repense maintenant de temps en temps, j'y repense en me disant : «mais qu'est ce que tu faisais avec tes cheveux ? Tu étais toute seule en pension, dans une petite cellule de chez les religieuses. Comment tu faisais ?» Et là, j'ai essayé de me souvenir comment est ce que je me coiffait, comment est ce que je faisais mes tresses, est ce que je faisais des tresses, qu'est ce que je faisais finalement ? Et je crois qu'effectivement, je me coiffais le plus simplement possible. Je ramassais tous mes cheveux au-dessus de ma tête et avec un élastique, j’attachais tout ça. Et quand j'avais un peu de temps, je faisais des tresses, mais je les faisais très mal. Et je me souviens de beaucoup de moqueries de la part des autres élèves parce que je ne savais pas comment coiffer mes cheveux finalement.
Et puis le temps a passé. Et puis maintenant, j’ai des relations de tresses. Je peux dire avec mes petits enfants ; mes enfants d'abord, mes filles qui elles, adoraient quand je leur faisais des tresses. Alors que moi, je détestais quand on me faisait des tresses. Mais elles, elles adoraient ça. Toutes sortes de tresses. Alors je devais faire une tresse au milieu, deux tresses à côté.. ou six tresses, ou bien des tresses relevées au-dessus de la tête. Donc, il y avait toutes sortes de souvenirs comme ça, de tresses. Et je vois que mes filles ont transmis aussi ce bonheur d'avoir des tresses à leurs enfants, jusqu'à ma petite fille, Mina, qui maintenant non seulement, elle, aime les tresses, mais en plus elle met des rallonges. Donc elle a toutes sortes de coiffures et toutes sortes de tresses rallongées.
Et les tresses, c'est devenu plus comme un statement actuellement d'avoir une coiffure avec des tresses, avec de longues tresses, à la manière “rasta” ou à la manière différente. Donc maintenant, c'est différent. Alors qu'à mon époque à moi, de porter les cheveux naturels quand j'étais jeune, de porter les cheveux naturellement afro donc pas de tresses, c'était un statement politique. Donc les choses ont changé, je peux dire. Parce que maintenant, avoir des tresses et des rallonges, un peu à l'africaine, c'est aussi un statement politique. Donc les choses changent avec l'histoire des tresses. Et donc c'est ça mon histoire de tresses.
Mais sinon, ce que j'aimais beaucoup aussi quand j'étais petite, quand j'avais des tresses, c'est quand on les défaisait, les tresses. Parce que quand on défait les tresses, on a les cheveux comme ça là, comme j'ai maintenant avec plein de vagues. Et on gardait les tresses, le tresses-out, comme on appelle ça maintenant, et on le gardait plusieurs jours. Et là, j'avais l'impression d'être très belle avec mon tresse-out, encore plus qu'avec les tresses. Puis les tresses décollées sur la tête ça fait moins mal. Mais quand maman nous faisait des petites tresses collées, les «tikouri», comme on dit en Haïti, ça, ça faisait vraiment, vraiment mal. Mais bon, ça dure plus longtemps, donc on aime ça.
Puis j'ai grandi comme ça, avec les cheveux tressés souvent, toujours tressés par ma mère ou des fois tressés par ma grande sœur. Puis quand moi, je suis devenue maman à mon tour, j'ai commencé à tresser mes filles. Donc, ma première fille, je savais faire des tresses décollées bien sûr, et je la tressais tout le temps en tresses décollées. ‘ais à un moment, je trouvais que c'était pas assez, qu'il fallait que je retrouve un côté plus noir et je voulais lui faire les tikouri et tout. Et je ne savais pas faire les tikouri. Donc ce qu'on faisait au début avec maman pour que j'apprenne, quand je tressais ma fille Florie, je lui tressais l'arrière de la tête, les tresses qu'on n'allait pas voir vraiment. Et puis la tresse qui allaient être devant, qui allaient être belles c’est maman qui les tressait. Comme ça. J'ai appris à faire des tikouris. Donc je faisais plusieurs fois. Quand j'ai commencé à tresser les tikouris, Florie, je lui faisais juste l'arrière et maman faisait à l'avant. Et donc c'est comme ça que j'ai appris. Puis, à un certain moment, je me suis dit «Bon, je suis assez bonne maintenant pour faire des tresses partout», et c'est moi qui commence à tresser ma fille.
Et après ça, j'ai eu une deuxième fille que j'ai tressé aussi. Mon expérience de tresses avec mes filles, c'est spécial. Parce que quand tu tresses un enfant, il est vraiment pas content. Il a mal et il se plaint et il reste pas dans la bonne position. Et c'est dur, c'est dur de le maintenir et il est fâché contre toi et tout.. Et c'est donc une expérience un peu bizarre parce que quand tu tresses l'enfant il est fâché. Mais aussitôt que la tête est finie, il y a comme une fierté et l'enfant est tellement content. Il va se regarder dans le miroir et a choisi son modèle de tresse. Et donc c’est un souvenir de tresser mes filles qui sont des adultes maintenant. C'est un souvenir agréable quand même au bout du compte, même si le processus pour se rendre au bout de la tresse était toujours un peu douloureux disons, un peu. Donc c'est ça, je ne sais pas trop quoi ajouter.
Je sais que mes filles, elles ont gardé comme moi aussi, même adultes, on a gardé les tresses dans notre culture donc même adultes, on se fait des tresses. C'est sûr qu'avec le temps, les tresses avec l'ajout de cheveux, là, les "rastas'', comme on dit comme ils font. Mes filles, ont préféré ça parce que ça faisait moins “petite fille” que les tikouris et tout. Donc elles ont fait des tresses, beaucoup de tresses aux rastas et ça, les tresses avec les rastas, avec les faux cheveux, avec les mèches. Ça, j'ai jamais appris à le faire, jamais appris. Et donc elles ont commencé à se faire tresser par d'autres personnes. Et puis elles ont réalisé à ce moment-là que finalement, je leur faisais pas si mal que ça quand c'était d'autres personnes qui ont commencé à les traiter avec des rasta. Elles ont réalisé que : ouf ! Finalement, maman faisait pas si mal que ça lorsqu'elle faisait des tresses donc c’est un peu ça.